Le syndicat Agrupación Reformista del Cuerpo Nacional de Policía demande la suppression des amendes de la « loi bâillon » pour consommation, loue le travail des clubs sociaux et soutient la manifestation pour la légalisation du cannabis qui traverse le centre de Madrid ce samedi.
En Espagne, au sein des forces de sécurité de l’État, chargées de lutter contre le trafic de drogue et de verbaliser la consommation de drogues en public conformément à la loi de sécurité citoyenne, il existe également d’autres voix qui jugent inefficaces les mesures prohibitionnistes. C’est le cas de l’Agrupación Reformista de Policías (ARP), un syndicat de la Police nationale qui défend ouvertement la régulation du cannabis et le travail des clubs sociaux de consommateurs de cette plante.
L’ARP a été créée en 2016 avec un profil réformiste et progressiste pour contrer d’autres syndicats policiers dominants, de caractère très conservateur. Dans le domaine des drogues, l’ARP a pris une position clairement favorable à une régulation semblable à celle adoptée par d’autres pays pour le cannabis, et totalement opposée à la « loi bâillon », qui oblige les policiers à exercer une fonction répressive et lucrative « très pénible », en infligeant des milliers d’amendes aux consommateurs.
Ce samedi, une manifestation organisée par les principales associations cannabiques espagnoles parcourra le centre de Madrid, depuis la Puerta del Sol, pour exiger la régulation d’une plante dont l’usage n’est toujours pas légalisé dans notre pays – le gouvernement continue de traiter la question de l’usage médical demandé par le Congrès il y a deux ans – ce que d’autres pays ont déjà fait, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, Israël, l’Australie ou le Portugal.
La manifestation, qui fait partie d’une mobilisation internationale appelée la Marche mondiale de la marijuana, bénéficie également du soutien de l’Agrupación Reformista de Policías, qui envoie « un salut cordial » à l’une des organisatrices, la Confédération des fédérations d’associations cannabiques (CONFAC), avec laquelle elle a appris de près le travail réalisé dans les clubs sociaux.
Le porte-parole national de l’ARP, Manuel Soler, s’appuie sur un chiffre qui, selon lui, est très important pour aborder ce sujet : le nombre de consommateurs de cannabis en Espagne, qu’il estime à environ cinq millions de personnes.
Selon l’Enquête 2022 sur l’alcool et les autres drogues menée par la Délégation du gouvernement pour le Plan national sur les drogues, 40,9 % de la population âgée de 15 à 64 ans reconnaît avoir consommé du cannabis au moins une fois dans sa vie, soit environ 13 millions de personnes, bien que le nombre de ceux qui l’utilisent plus fréquemment – au cours du dernier mois – soit de 8,6 %.
« Ce problème a été mal abordé par l’Administration avec la loi bâillon, qui impose des sanctions de 601 à 30 000 euros pour consommation ou possession. C’est un travail ingrat pour le policier, qui doit appliquer une politique inefficace, coûteuse pour l’État et préjudiciable pour les citoyens », déclare Manuel Soler à Público.
Selon les données des annuaires statistiques du ministère de l’Intérieur, près de 60 % des amendes infligées en vertu de cette loi, adoptée en 2015 par le gouvernement de Mariano Rajoy, concernent l’usage de drogues sans trafic, une infraction pénale.
De 2015 au 31 décembre 2022, 1115066 amendes pour consommation ou possession de drogues dans des lieux publics ont été infligées, pour un montant total de 708,8 millions d’euros, soit près de 64% de tous les fonds récoltés en vertu de cette loi.
Ces chiffres montrent, selon Soler, que la majorité des policiers sont engagés dans l’application d’une loi inefficace. « C’est très triste notre travail répressif dans ce domaine quand on sort patrouiller et qu’on arrête quelqu’un avec un joint à moitié consommé et qu’on doit l’envoyer à la sous-délégation du gouvernement et aux services de santé. Ce n’est pas lutter contre le monde illicite. Ce travail n’est pas celui d’une police qui lutte contre le narcotrafic », souligne le porte-parole et fondateur de l’ARP.
Violence et corruption policière
La lutte contre le narcotrafic n’est pas très efficace non plus, selon ce dirigeant syndical, car les forces de sécurité de l’État n’auront jamais les moyens suffisants pour faire face à des organisations criminelles de plus en plus puissantes.
« On ne peut pas lutter contre ce marché illégal, cela nous condamne à rester un pays récepteur. Nous voulons plus de moyens et des politiques plus efficaces comme celles mises en œuvre par d’autres pays », explique-t-il.
La prohibition des drogues et la lutte contre le trafic entraînent, selon Soler, beaucoup de violence et de corruption, dont les forces de sécurité ne sont pas exemptes. Les agents des unités spécialisées qui enquêtent sur ces organisations courent également de nombreux risques.
La mort de deux gardes civils percutés par une embarcation de trafiquants à Barbate en février dernier a marqué, selon lui, un tournant dans cette lutte. « Les groupes criminels du narcotrafic constituent un monde incontrôlable, avec beaucoup de moyens. Il est clair qu’il faut résoudre ce problème, mais pas seulement avec des mesures policières. Il semble que dans ce pays, la police doit payer les conséquences de toutes les décisions politiques », souligne-t-il.
L’Allemagne permet la possession de jusqu’à 25 grammes dans les espaces publics et l’accumulation de 50 grammes à domicile
Le président du gouvernement et secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, en tant que dirigeant de l’Internationale socialiste, doit diriger le débat, selon le porte-parole de ce syndicat policier. « Il est temps d’ouvrir le débat pour corriger une politique erronée et légaliser le cannabis, comme l’ont fait d’autres pays, dont un référent européen comme l’Allemagne ».
L’Allemagne, première puissance économique de l’UE et pays le plus peuplé, a lancé en avril la plus grande régulation du cannabis en Europe pour un usage récréatif : sa réglementation permet la possession de jusqu’à 25 grammes dans les espaces publics et l’accumulation de 50 grammes à domicile, ainsi que la culture de trois plantes à usage personnel. Les clubs sociaux de consommateurs seront des lieux d’approvisionnement – mais non de consommation – à partir de juillet.
L’Espagne, où il existe entre 1 000 et 2 000 associations de ce type avec un demi-million de membres, a été le premier pays à ouvrir ces clubs pour promouvoir une consommation partagée et responsable du cannabis. Cependant, leur fonctionnement n’a pas encore été régulé et les deux seules lois qui l’ont fait, en Catalogne et en Navarre, ont été déclarées inconstitutionnelles pour empiètement sur les compétences de l’État. Cette absence de régulation favorise de nombreuses opérations policières et judiciaires contre leurs responsables.
Un « travail impressionnant » des clubs sociaux
Le porte-parole de l’Agrupación Reformista de Policías affirme que les clubs sociaux de cannabis « font un travail impressionnant » et qu’il faudrait mieux faire connaître leur rôle en tant que formateurs en prévention et en réduction des risques liés à la consommation.
« Ils pourraient aussi instruire les policiers dans les commissariats, à l’École nationale de police d’Ávila, afin que nous connaissions d’autres alternatives. Ils ne perturbent en rien le travail de la police. Ils sont très nécessaires pour explorer d’autres politiques », souligne le dirigeant syndical.
Selon Manuel Soler, si l’usage du cannabis est régulé de manière efficace, les millions de consommateurs de cette substance en Espagne se rangeront du côté de l’administration et de la police, devenant ainsi leurs alliés, car une société libre offre un état de bien-être pour tous, tant pour les consommateurs que pour les forces de sécurité.
« Nous voulons être très clairs : à l’ARP, nous n’encourageons pas la consommation. Ce que nous demandons, c’est que son usage soit régulé, que les associations de consommateurs jouent un rôle central en tant qu’éducateurs et grands connaisseurs du sujet. Et que la police soit libérée d’un travail ingrat et inefficace », précise son porte-parole.
Ce syndicat policier espagnol a eu des contacts avec la LEAP, une association internationale de policiers ayant travaillé dans la lutte contre le narcotrafic et qui considèrent que l’interdiction a été un échec et qu’il faut explorer des politiques alternatives. « Nous voulons que l’on sache qu’il y a un secteur de la police espagnole qui partage cette vision et, bien sûr, nous serions favorables à intégrer cette confédération policière », déclare Manuel Soler.
La 27e édition de la Marche mondiale de la marijuana, qui rassemble chaque année des milliers de personnes, part ce samedi à 18h00 de la Puerta del Sol de Madrid et se terminera à la Plaza de España après avoir traversé la Gran Vía.
Dans son manifeste de soutien à la manifestation, la CONFAC revendique « le respect des droits humains et des libertés fondamentales de consommer, posséder et cultiver du cannabis », et exige la « dépénalisation totale » et la fin des amendes pour possession et consommation en public.
Selon le dernier sondage du CIS sur la régulation du cannabis, réalisé en avril 2021, la moitié de la population espagnole – 49,7 % – est favorable à la légalisation de la vente de marijuana dans certains établissements et sous certaines conditions, un pourcentage qui atteint 90,1 % si cette vente est destinée à un usage médical.